L’œuvre singulière d’un penseur cosmopolite

Ce recueil d’hommages à Jean-Paul Brodeur, décédé le 26 avril 2010, est avant tout le reflet de son insatiable et intransigeante curiosité intellectuelle, mise au service d’une pensée structurée par l’éthique de l’action. Issu de la philosophie et voué à une brillante carrière dans cette discipline, il choisit pourtant une voie atypique en bifurquant en 1978 vers un champ de recherches en émergence : la criminologie. Cette décision audacieuse, prise alors que les sciences sociales québécoises consolidaient leur affranchissement d’une longue subordination à la philosophie thomiste (Fournier, 1976), ne fut jamais pour lui une source de regrets.

Auteur et directeur de vingt-six ouvrages ou numéros spéciaux de revues1, Jean-Paul Brodeur, en infatigable travailleur, poursuivit ses travaux jusqu’au dernier jour, ne faisant aucune concession à la maladie dont il se savait atteint depuis quelques mois. Sa plus grande satisfaction était d’avoir réussi à terminer l’ouvrage qu’il considérait comme son Magnum opus, la somme des recherches et des réflexions qu’il avait menées tout au long de sa carrière sur la police, son objet de prédilection. Il n’eut pas la chance de feuilleter un exemplaire relié de son Policing web (Brodeur, 2010), publié par l’une des plus prestigieuses maisons d’édition scientifique anglophone, qu’il méditait depuis des années et qu’il avait si souvent remanié par souci de perfection. Cependant, ce qu’il avait conçu initialement comme un traité moderne sur la police fera résonner son héritage intellectuel en donnant à tous ceux qui réfléchissent aux fonctions policières une matière théorique et empirique d’une extrême richesse.

La diversité des contributeurs réunis dans ce numéro (Canadiens, Français, Américains, Australiens) illustre parfaitement sa propension, tout au long de sa carrière, à tisser des liens privilégiés avec des collaborateurs provenant d’univers et de traditions universitaires ayant généralement tendance à s’ignorer respectivement. Ce talent lui conféra un rôle de courtier intellectuel qui lui permit par exemple d’imposer dans le monde anglo-saxon le concept éminemment continental de haute police, ou bien d’alimenter la réflexion de ses collègues francophones sur les mythes et les réalités du travail policier, à partir des résultats de la recherche empirique nord-américaine.

C’est donc à la fois au philosophe, au criminologue, au conseiller, à l’érudit, au vulgarisateur, au gestionnaire, et bien entendu à l’ami qu’il fut rendu hommage lors d’une journée commémorative organisée le 14 avril 2011 à l’Université de Montréal. Les articles réunis dans ce numéro spécial de Champ Pénal/Penal Field reprennent et enrichissent les communications de ce jour-là par quelques-uns de ceux qui furent ses plus fréquents et proches interlocuteurs au cours des quarante dernières années.

Ce contenu a été mis à jour le 28 juin 2015 à 14 h 57 min.