L’avenir de la surveillance en construction dans l’Utah
James Bamford, auteur d’un ouvrage de référence sur l’histoire de la NSA, l’agence de renseignement électronique américaine, et l’un des experts les mieux renseignés sur le fonctionnement et les capacités techniques de cette organisation très secrète, publie ce mois-ci dans Wired un compte-rendu très completdes programmes développés ces dernières années par l’agence.
Il y détaille la stratégie d’interception systématique des communications téléphoniques et informatiques dirigée aussi bien contre les gouvernements étrangers que contre ses propres citoyens, à l’aide d’un gigantesque entrepôt de données en construction à Bluffdale, dans l’Utah. Plus habituée aux mormons polygames qu’aux espions forts en maths, cette petite ville verra d’ici quelques mois sortir de terre une installation dont les coûts sont estimés à deux milliards de dollars. Bien que la mission officielle de ce complexe soit d’améliorer la cybersécurité des États Unis, c’est bien de surveillance à une échelle encore jamais envisagée dont il est question.
Bamford décrit en détail le programme d’espionnage systématique de la population américaine mis en oeuvre après les attentats du 11 septembre grâce à la complicité des grandes entreprises de télécommunication américaines, qui lui ont permis d’intercepter quotidiennement près de 320 millions d’appels dès 2001. Baptisé « vent stellaire », ce programme est toujours en place aujourd’hui et s’étend également aux courriers électroniques, aux tweets, etc.
L’une des sources publiques de l’auteur estime qu’en onze ans, la NSA a intercepté et conservé entre 15 et 20 billions de communications individuelles (appelées « transactions » par l’agence). Afin d’analyser cette montagne de données, la NSA s’est donc dôtée de l’ordinateur le plus puissant au monde, optimisé pour casser les codes secrets qui protègent les communications électroniques. D’après l’auteur, la NSA estime qu’elle va aboutir dans des délais rapprochés à une avancée majeure dans le domaine. Si les clés de cryptage actuelles sont trop robustes, même pour ce type de super-ordinateur, les communications interceptées ces dernières années sont beaucoup plus vulnérables et permettraient donc à l’agence de percer des secrets permettant d’extrapoler des situations actuelles.
La prochaine génération de super-ordinateur de surveillance et de datamining est déjà en construction dans le Tennessee et devrait être opérationnelle en 2018. Le bâtiment qui sera construit pour l’héberger aura une superficie de plus de 24.000 mètres carrés et disposera d’une alimentation électrique de 200 mégawatts, l’équivalent des besoins énergétiques de 200.000 maisons individuelles. Il semblerait donc que dans le jargon de la NSA, le terme de cybersécurité définisse en réalité l’extinction programmée de la notion de vie privée.
Ce contenu a été mis à jour le 29 juin 2015 à 13 h 20 min.